Levalet ce jeune street-artiste étale sur les murs des villes et notamment sur ceux de la capitale des personnages singuliers qui ont tous des comportements énigmatiques.
Un monde de la vacuité
Le monde de Levalet rejoint celui d’un certain Samuel Beckett qui se singularise par la vacuité. En effet la logique beckettienne qui consiste à dire « plus on est plein et plus on est vide » semble s’appliquer idéalement à l’oeuvre produite par cet artiste.
la vacuité s’exprime notamment par les attitudes inquiètes de ces quatre personnages, qui affichent tous une mine défaite et attristée, conduisant à un repli sur soi et à une incapacité à réagir .
Chez Beckett, dans la première phrase de l’Innommable, l’énonciateur pose l’absence de sa présence : « Dire je. Sans le penser » (S.Beckett, L’Innommable, Paris, Minuit, 1953)
Comme ici les personnages qui semblent présents sans l’être véritablement.
Tout cela crée à l’évidence une situation d’affranchissement absolu en l’absence d’une identité ou d’une localisation.
Le mouvement
Le trait commun à tous ces personnages semble résider dans le mouvement. Tous apparaissent, en effet, le plus souvent mus par une folle frénésie de la bougeotte.
Sur le même thème, Beckett a rejoint la position de Paul Klee qui a élaboré la portée cosmique de la création. Cette théorie consiste à dire que l’univers est géré principalement par le mouvement et que l’inertie apparente sur terre ne serait qu’un leurre.
C’est pourquoi les personnages de Levalet déploient une intense énergie, souvent de façon désordonnée ou de manière presque automatique comme ces militaires sans visages qui semblent défiler.
« … impossible de m’arrêter, impossible de continuer, mais je dois continuer, je vais donc continuer » disait encore Beckett.
Ce serait donc toujours le vide ou l’absence de sens qui caractériserait une telle fuite en avant ?
Les personnages sont des anti-héros
Pour lutter contre l’ordre établi car l’ordre du monde est un leurre, l’antihéros, toujours selon Beckett, n’a d’autre choix que de vivre dans un système d’opposition de formes contraires et la constance subversive des conflits :
« Dans ma vie, puisqu’il faut l’appeler ainsi, il y eut trois choses, l’impossibilité de parler, l’impossibilité de me taire et la solitude » (Samuel Beckett, L’Innommable,)
Les personnages de Levalet sont donc des antihéros car leurs actions n’obéissent à aucun cheminement de cause à effet. Ils échappent à l’armature logique.
Ils sont pris au piège de « l’empêchement ». Même les mots qu’ils échangent entre eux perturbent seulement la plénitude du vide sans le combler car ils ne représentent plus rien.
Ils semblent avoir perdu perdu la capacité de modifier l’ordre des choses.
Le solipsisme
Le solipsisme semble être le seul refuge possible pour les personnages de Levalet. Ce mot « solipsisme » forgé du latin solus, seul et ipse, soi-même définit une attitude générale de l’individu d’après laquelle, il n’y aurait pour le sujet pensant d’autre réalité que lui-même.
Dans le dessin de l’homme qui cache son visage, c’est en fait la représentation du drame de l’homme condamné au solipsisme.
Il est placé en fait devant sa propre mort, car il assiste à l’écroulement du sens et à celui de l’être d’où la tentation de cacher cette réalité. Il serait dans la situation d’un autiste.
Le regard (le mien) devient insupportable puisqu’il devient le centre du monde. « C’est moi qui fais être pour moi » ce que nous explique également Merleau-Ponty (Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945, p.111)
Christian Schmitt
www.espacetrevisse.com
site de l’artiste:
http://levalet.xyz/